2. La
commercialisation croissante de produits issus du génie génétique inquiète de plus en
plus l'opinion publique, qui s'interroge sur les conséquences sanitaires, écologiques,
sociales et économiques des nouvelles biotechnologies. Cette inquiétude, si l'on
considère l'industrie biotechnologique dans son ensemble, est scientifiquement fondée.
Quant aux contrôles sur la santé, l'environnement et l'encadrement juridique, ils sont
insuffisants dans les pays développés et inexistants dans les pays en voie de
développement.
3. L'expansion rapide des nouvelles biotechnologies dans les pays en voie de
développement s'est produite sans que les pouvoirs publics se dotent des compétences
nécessaires et des moyens suffisants pour évaluer, surveiller et réglementer
correctement le génie génétique et ses applications. C'est là un aspect
particulièrement inquiétant.
Failles scientifiques
4. Le réductionnisme de certains principes fondateurs du génie génétique est
actuellement remis en question et les scientifiques sont encore loin d'une interprétation
globale sur le fonctionnement des génomes.
5. L'un de ces principes de base stipule que chaque caractère d'un organisme est codifié
dans un ou plusieurs gènes stables, de sorte que le transfert du gène induirait
simplement et uniquement, voire toujours le transfert du caractère correspondant. C'est
une caricature très légère qui ne prend pas en compte par exemple les interactions
complexes de séries de gènes. Ce réductionnisme génétique extrême est aussi
aujourd'hui remis en question, parce qu'il fait l'impasse sur les interactions complexes
entre les gènes et leur environnement.
6. De plus, le fait de placer un gène dans un nouveau milieu peut entraîner une cascade
d'événements imprévisibles, pouvant se révéler nocifs, notamment pour la santé
humaine et les écosystèmes. Le transfert d'un gène à un hôte étranger entraîne la
déstabilisation des mécanismes de contrôle du gène en question. Exposés à des
déstabilisations, ces mécanismes peuvent devenir inefficaces. C'est pourquoi, dans de
nombreux cas, il est impossible de prédire les conséquences d'un transfert de gène d'un
type d'organisme à un autre.
7. Cette prédiction est aléatoire non seulement en raison de la complexité inhérente
à chaque organisme, mais parce que, de surcroit les génomes de tous les types
d'organismes sont fluctuants - composés d'éléments mobiles - de sorte que le gène
transféré peut muter, se transposer ou se recombiner au sein du génome, ou même être
transféré à un autre organisme ou à une autre espèce. La stabilité des organismes
et, par voie de conséquence, celle des écosystèmes peut être ainsi menacée.
8. Il est particulièrement alarmant qu'une fois lâchés, sans traçabilité, dans le
milieu naturel ou échappés de leur enceinte de confinement, les OGM - par exemple
plantes, micro-organismes, insectes et poissons puissent ne plus être maîtrisés.
Certains peuvent migrer, muter ultérieurement, se multiplier de matière incontrôlable,
avec des conséquences qu'il est impossible d'évaluer.
Risques écologiques, sanitaires et sociaux
9. Des années de recherches menées sur le
génie génétique et les organismes génétiquement manipulés ont établi leur utilité
dans des cas particuliers, et leur nocivité potentielle pour la santé humaine et
l'environnement dans d'autres cas. Les risques écologiques de l'application du génie
génétique à l'agriculture incluent la possibilité que des plantes transgéniques
deviennent nocives et affectent les écosystèmes. Des plantes manipulées pour exprimer
ou tolérer des substances toxiques telles des pesticides, peuvent empoisonner des
organismes non visés. D'autres plantes, manipulées pour porter des virus ou des
fragments de virus, peuvent favoriser l'apparition de nouveaux virus, responsables
possibles de maladies nouvelles. Par ailleurs, le génie génétique engage au
développement des monocultures, et contribue ainsi à l'appauvrissement de la diversité
agricole.
10. La diversité des formes de vie est à la base de la stabilité écologique,
stabilité qui est déjà mise à mal, principalement par l'industrialisation et
l'urbanisation généralisées, et par les pratiques de l'agriculture intensive.
L'intrusion d'OGM dans l'environnement risque de perturber gravement les mécanismes
naturels qui régissent à la fois l'évolution et la stabilité écologique.
11. Les risques pour la santé humaine sont considérables, à la mesure des bénéfices
observés grâce à l'utilisation de certains produits pharmaceutiques dérivés d'OGM.
Mais ces OGM étaient utilisés en milieu confinés. Certains OGM sont obtenus par
introduction de virus ou de vecteurs de transposons artificiellement renforcés pour être
moins propres à leur espèce d'origine. Etant donné que les virus et les transposons
peuvent provoquer des mutations, les vecteurs renforcés pourraient être mutagènes et
être des cancérigènes pour les humains et les animaux. De plus, la présence de gènes
étrangers dans les OGM peut favoriser l'existence de métabolismes nouveaux. Ainsi,
certains aliments courants modifiés par le génie génétique pourraient devenir
dangereux.
12. Les personnes sujettes à des allergies d'origine alimentaire pourraient être
exposées à des risques supérieurs, car certains aliments courants deviendraient
allergéniques par le biais des manipulations génétiques.
13. Aux risques écologiques et sanitaires s'ajoute la forte probabilité que des
nouvelles cultures biotechnologiques se substituent à des cultures traditionnelles. Ce
remplacement aura des conséquences sociales et économiques dramatiques pour les pays en
voie de développement, et pour une grande partie des agriculteurs des pays industriels.
14. Les enjeux éthiques et culturels que soulèvent les nouvelles biotechnologies sont
considérables. L'altération, la manipulation et la propriété du vivant relèvent aussi
du domaine moral. L'expansion des nouvelles biotechnologies prend de court le genre
humain, qui se révèle en retard pour répondre aux défis éthiques et culturels posés.
Carences en matière de sécurité
15. Malgré la croissance exponentielle des nouvelles biotechnologies, les infrastructures
de recherche et d'enseignement en matière de biosécurité, études d'impact du génie
génétique et mise en oeuvre de mesures de sécurité, font toujours gravement défaut.
La réglementation communautaire qui n'oblige pas l'étiquetage systématique des produits
issus d'OGM, interdit de mettre en place un minimum en matière de sécurité alimentaire
: la traçabilité des produits. Si des problèmes apparaissent il sera difficile de les
détecter et impossible de récupérer les seuls produits dérivés d'OGM concemés. Des
filières entières seront touchées.
16. Aujourd'hui, l'enseignement et la recherche en sciences sont déséquilibrés au point
d'évincer ou de démanteler des disciplines et des approches globales, parfois plus
pertinentes. Simultanément, l'absence de mise en valeur de ces recherches a abouti à
leur sous-évaluation systématique.
17. Les connaissances scientifiques que nous avons actuellement ne nous permettent pas
d'anticiper et .de prévoir avec certitude le comportement et les effets des OGM. La
dynamique de l'écologie met en oeuvre toutes les gammes de comportements complexes
caractéristiques des systèmes impliquant des processus de couplages, d'interactions et
de rétroactions. D'où la difficulté inhérente à la prédiction et le besoin
d'extrême prudence quand il s'agit de tirer les moindres conclusions.
18. Or, les commissions chargées d'évaluer les risques prennent parti pour un
allégement constant des procédures nationales et intemationales alors que les premiers
résultats scientifiques ont montré que le flux des gènes, les comportements d'insectes
pollinisateurs et les métabolismes de produits toxiques suivent des règles complexes.
Ces derniers risquent notamment de se concentrer à travers la chaine alimentaire dans
les écosystèmes. Plus les recherches avancent plus elles nous montrent leur nécessité
de les poursuivre avant de disséminer dans l'environnement les OGM et leur dérivés
très difficilement identifiables. Même dans les pays industriels le suivi des OGM
commercialisés n'est pas systématiquement assuré. Le principe de précaution («En cas
de risques de dégâts graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique ne
doit pas servir de prétexte pour retarder les mesures de prévention de la dégradation
de l'environnement», déclaration des chefs d'Etat, Conférence de Rio, juin 1992)
devrait pourtant être la règle dans toutes activités faisant appel au génie
génétique.
19. Ces carences sont d'autant plus graves que certaines conséquences nocives des OGM
pourraient ne se manifester qu'après des décennies.
L'observation des OGM ne porte actuellement que sur quelques années.
Un organisme déclaré sûr dans le court terme, peut se révéler dangereux sur le long
terme. Les exemples de ce genre ne manquent pas dans la littérature scientifique.
20. Le problème prend toute sa dimension lors du transfert des applications commerciales
des OGM, en particulier vers des pays en voie de développement, où dans ce domaine les
structures scientifiques et juridiques sont encore plus défaillantes.
Recommandations
21. La situation actuelle du génie génétique en recherche appliquée est inquiétante.
Les recommandations qui suivent en appellent aux organisations nationales et
intemationales, leur demandant d'assumer leurs responsabilités en considérant que les
contrôles et la sûreté sont une impérieuse nécessité, qui doit se traduire dans les
choix politiques et la réglementation.
Aujourd'hui c'est le contraire qui se passe : on va vers un allègement des procédures au
lieu d'aller vers une règlementation accrue.
22. Les gouvemements et les organisations intemationales concemées doivent mettre en
place un moratoire sur les applications commerciales des OGM et leur dissémination libre
dans l'environnement et l'alimentation soutenu par une recherche à laquelle on donne
le temps de rendre des conclusions. Une procédure d'autorisation de mise sur le marché
doit être envisagée pour les OGM comme c'est le cas pour les médicaments.
23. Ce moratoire devra être mis à profit pour entreprendre une étude approfondie des
risques et solliciter l'avis de l'ensemble de la communauté scientifique sur les
critères d'évaluation et de contrôles à venir. Ce moratoire permettra ainsi de
compléter la compréhension des effets du génie génétique et d'évaluer correctement
son impact, créant les conditions pour des choix politiques nationaux sur les questions
socio-économiques, éthiques et sanitaires.
A cet effet, des ressources supplémentaires doivent être allouées à l'évaluation
scientifique et objective des conséquences de l'impact socio-économique du génie
génétique et des conséquences sur l'environnement
et la santé humaine.
24. Plusieurs modifications du cadre réglementaire doivent être envisagées. En France,
l'indépendance de l'expertise, son caractère contradictoire doivent être organisés par
décret. Les procédures de nomination des représentants des associations de
consommateurs, des associations de protection de l'environnement
et des syndicats d'agriculteurs doivent être révisées.
25. Pour les pays en voie de développement, les gouvemements et les agences
intergouvemementales, dont celles des Nations-Unies, doivent en particulier se pencher sur
les implications écologiques, sanitaires et socio-économiques des nouvelles
biotechnologies. Des mesures doivent être prises pour prévenir leurs conséquences
désastreuses, spécialement sur les communautés rurales. Des programmes doivent être
adoptés d'urgence, pour préserver la biodiversité agricole dans le tiers monde et
étudier le potentiel des pratiques traditionnelles afin de promouvoir une agriculture plus vivace.
OGM : La guerre du troisième millénaire! - Lettre aux maires des zones contaminées en l'an 2000 - Jardin
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