Source : LE MONDE DU 09.03.2002 premiers hommes sont partis du continent africain. Mais la chronologie de ces migrations reste incertaine et demande à être précisée par les généticiens. L'Homme moderne est-il apparu en Afrique ? Quand, et comment, a-t-il remplacé les populations archaïques qui peuplaient l'Asie et l'Europe ? A-t-il connu plusieurs vagues de migration successives ? Dans la recherche de nos origines, les paléontologues ont reçu depuis peu l'aide des biologistes moléculaires, qui s'appliquent à lire notre histoire dans les gènes de nos contemporains. Mais cette approche est récente, et ses conclusions souvent contradictoires. Pour la première fois depuis que ces travaux sont en cours, une équipe américaine vient de reprendre l'ensemble des résultats obtenus et d'en faire la synthèse. Le scénario le plus probable qui en ressort est que nos ancêtres sont bien partis du continent africain. Et plutôt deux fois qu'une. Ainsi que le suggère le biologiste Alan Templeton (Washington University, Saint-Louis, Missouri), dont les travaux sont publiés dans la revue Nature (datée du 7 mars), nos aïeux africains auraient connu deux épisodes migratoires majeurs, l'un il y a environ 600 000 ans, l'autre il y a 100 000 ans. Mais, ajoute-t-il, ces nouveaux arrivants sur le sol asiatique et européen n'ont pas brutalement remplacé les populations plus anciennes qui y vivaient alors. Les mélanges génétiques en témoignent : les groupes humains qui ont successivement peuplé la planète ont au contraire su se mêler les uns aux autres, engendrant des populations métissées dont nous provenons tous. De cette longue histoire, on connaît le début. Il y a 5 millions d'années, en Afrique - déjà -, les australopithèques se dressent sur leurs pattes de derrière. Environ 2,5 millions d'années plus tard, leurs descendants donnent naissance au grand-père direct de l'homme moderne : Homo habilis, l'homme qui taillait les pierres. Quelques centaines de milliers d'années encore, et son fils, Homo erectus, quitte l'Afrique pour conquérir le monde. Le dos droit, et le cerveau nettement plus gros que celui de ses ancêtres. Il y a 350 000 ans, Homo erectus est présent en Afrique, en Asie et en Europe. Mais, à partir de là, tout se brouille. A-t-il ensuite évolué simultanément en différents lieux pour donner naissance, 250 000 ans plus tard, à l'homme moderne, Homo sapiens sapiens ? Ou bien ce dernier est-il issu d'un seul peuplement, parti ultérieurement d'Afrique ? C'est là que la génétique, depuis peu, a son mot à dire. RESULTATS CONTRADICTOIRES L'étude par les gènes de nos origines commence véritablement en 1987, avec les travaux d'une équipe de chercheurs californiens dirigés par Alan Wilson. Selon eux, notre mère à tous serait une "Eve" noire, apparue en Afrique il y a environ 200 000 ans, et dont les descendants auraient ensuite progressivement occupé le reste du monde. Ces conclusions s'appuient sur l'analyse d'un matériel génétique très particulier : l'ADN des mitochondries, petits éléments servant à la respiration cellulaire qui possèdent leur propre patrimoine héréditaire. Mais, très vite, d'autres pistes se dessinent. Notamment celle... d'"Adam". Un hypothétique ancêtre datant cette fois de 270 000 ans, et qui serait lui aussi, selon une équipe américaine de l'université Yale (Connecticut), porteur du patrimoine héréditaire commun à l'ensemble de l'humanité. Pour réunir dans le jardin d'Eden ce couple mythique, que les gènes et les statistiques séparent aujourd'hui de 70 000 ans, les biologistes poursuivent donc leurs recherches. Mais plus ils avancent moins on y voit clair ! En 1996 tombent ainsi de nouveaux résultats, fondés sur l'analyse d'un fragment du chromosome 12. Conclusion des auteurs de l'étude : l'origine de notre population mondiale se situe quelque part en Afrique subsaharienne, d'où elle aurait essaimé vers le reste du monde... il y a tout au plus 100 000 ans. Que tirer de ces résultats contradictoires, obtenus à l'issue de longs travaux menés par des équipes reconnues ? Au moins une constante, qui incite à ne pas relâcher l'effort : qu'ils proviennent de l'ADN mitochondrial ou chromosomique, les gènes humains mènent tous au continent africain. Mais la méthode a ses limites. Les déductions auxquelles elle fait appel reposent sur un grand nombre de postulats, sur lesquels les chercheurs ne s'accordent pas toujours. "Lors de telles analyses, les populations doivent être définies de façon précise pour éviter de reconstruire des a priori phylogénétiques", précise Véronique Barriel, spécialiste de la phylogénie des primates au Muséum d'histoire naturelle de Paris. D'autres critères imposent également la prudence, telles les hypothèses évolutives utilisées pour calculer la "distance génétique" entre deux populations. Il faut, enfin, compter avec une inconnue majeure : s'il s'est produit, comme le pensent nombre de préhistoriens, des métissages fréquents entre Homo sapiens archaïques et les premiers hommes modernes, tous les calculs chronologiques bâtis à partir de l'ADN de nos contemporains doivent alors être reconsidérés. C'est en partie ce qu'a fait l'équipe d'Alan Templeton, et ce n'est pas le moindre intérêt de son étude. Plus globalement, son travail a consisté à appliquer les méthodes de l'analyse statistique aux principaux "arbres" phylogénétiques établis depuis quinze ans sur notre propre espèce. Au total, les résultats de onze études génétiques (fondées sur de l'ADN provenant soit des mitochondries, soit des chromosomes sexuels X ou Y, soit d'autres chromosomes) ont été traités par ses ordinateurs, avec pour mission de livrer un scénario cohérent sur l'émergence de l'homme moderne. Les principales conclusions qui en découlent - deux vagues de migration successives à partir du continent africain, et un fort métissage avec les populations antérieures - sont, une fois encore, spéculatives. Mais elles s'appuient sur une réelle volonté de synthèse, et réunissent pour la première fois des données jugées jusqu'alors inconciliables. Catherine Vincent
Transmis par Catherine "rcathe4213(at)wanadoo.fr" |
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